Le futur des pensions en Belgique - AG Employee Benefits
Marie-Noëlle Vanderhoven

Publié le 08-05-2024

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Quel avenir pour les pensions en Belgique ?

En marge des élections législatives de juin 2024, AG a rencontré Marie-Noëlle Vanderhoven, conseillère à la Fédération des entreprises de Belgique (FEB), pour discuter avec elle du futur agenda du prochain gouvernement concernant les pensions et les maladies de longue durée. Retour sur cet entretien exclusif autour de sujets épineux dans notre pays. 

Quel bilan tirez-vous du mandat de la ministre Karine Lalieux ?

Si on fait le bilan de ce qui a été fait sous cette législature, je ne peux pas me montrer très positive. On a beau parler de réformes, mais en réalité, il n'y a rien qui a été fait pour garantir la soutenabilité financière des pensions et rendre nos régimes plus justes et cohérents. Il y a eu quelques modifications paramétriques pour donner plus de droits à certaines catégories de personnes qui avaient des carrières incomplètes ou très courtes alors que ce qu’il aurait fallu faire c’était prendre des mesures qui valorisent davantage le travail. Selon nous, nous n'avons clairement pas été dans la bonne direction et tout reste à faire car notre système des pensions reste financièrement intenable et injuste. Bien pire, la situation s’est dégradée en raison des mesures adoptées sous cette législature (dépenses supplémentaires de 0,7 voire 0,9 point de pour cent de PIB d’ici 2070). La Belgique devra rendre des comptes à l’Europe, car rappelons que dans le cadre du plan de relance notre pays s’était engagé à réformer les pensions…Le gouvernement précédent avait réussi à prendre des mesures utiles et qui avaient eu effectivement un impact sur la soutenabilité financière des pensions. Celui-ci s'est tout à fait planté.

Le bilan est donc, selon vous, plutôt négatif ? 

Oui. La Belgique ne peut maintenant plus se voiler la face. Le prochain gouvernement va certainement devoir cravacher et se lancer dans une vraie réforme des pensions. Mais nous savons comment le système politique belge fonctionne. Nous allons sûrement nous retrouver dans une configuration avec tous les partis - sauf les extrêmes – au gouvernement qui aura à nouveau du mal à faire bouger les lignes. En plus cela va prendre du temps puisque le gouvernement ne sera pas formé tout de suite et donc les pensions seront en stand-by. Tout cela promet d’être très complexe. Mais cette fois, je pense que nous n’échapperons pas au contrôle et aux sanctions de l’Europe et que nous serons bien obligés d’en finir avec la politique de l’autruche.

J’avais espéré que du fait de sa composition hétéroclite, la Vivaldi puisse aboutir à quelque-chose de tangible comme l’avait fait la commission des Réformes 20-40. Cette commission représentait également tous les courants politiques et était parvenue à dégager une solution équilibrée et pérenne. Ça n’a malheureusement pas été possible cette fois-ci.

Vous parlez de « vraies réformes » des pensions. Karine Lalieux a quand même fait bouger les choses…

Il n’y a eu aucune réforme constructive.
 

Il y a quand même eu le retour du plan bonus, la pension minimum a été rehaussée, … On a quand même l'impression qu'il y a des choses qui sont passées. 

Nous n'avons pas la même définition de réforme. Pour la ministre, il s'agit d'améliorer les droits des plus petites pensions. C'était surtout ça son cheval de bataille. Mais pour moi, ça, ce n'est pas une réforme. En tout cas, on conviendra qu'augmenter la pension minimum, ce sont des dépenses supplémentaires avec l'effet pervers que l'on récompense le non-travail et qu'on diminue les incitants à travailler plus longtemps. 

"Il n’y a eu aucune réforme constructive".

La ministre Lalieux a réintroduit le bonus pension qui, rappelons-le, avait été supprimé par le ministre Bacquelaine en raison de son coût et de son inefficacité. Des études avaient mis en évidence que le bonus pension ne profitait qu’aux travailleurs qui auraient continué à travailler même sans le bonus (effet d’aubaine) et qu’il s’agissait dès lors d’une mesure coûteuse et inefficace pour allonger les carrières. Nous ne pensons pas que l’effet sera meilleur cette fois-ci même si le bonus est payé sous la forme d’un capital.

Bref, ce sont des ‘réformettes’… des améliorations pour les petites pensions. Mais une réforme profonde du système et des régimes de pension, il n’y en pas eue.

 

Qu’est-ce que la Ministre aurait pu faire ? Que lui a-t-il manqué ? 

Elle a manqué d’ambition et de courage politique dans son programme. On a besoin d’une réforme pour assurer la soutenabilité des pensions dans un contexte de population vieillissante. Pour cela on a besoin de plus de gens en emploi et donc d’un régime de pension qui soit cohérent avec cet objectif et qui valorise davantage le travail par rapport au non-travail. On doit pouvoir donner un message clair et univoque aux travailleurs. Si vous travaillez, vous aurez (significativement) plus de droit de pension que si vous ne travaillez pas. La réforme doit également rétablir l’équité entre pensionnés. Il y a encore beaucoup trop de différences entre les différents régimes de pension (salariés, fonctionnaires et indépendants) qui ne sont plus justifiées aujourd’hui. Il faut corriger ces différences et faire en sorte qu’un même travail engendre les mêmes droits de pension quel que soit le statut. Revaloriser le travail grâce à la pension, repenser, réfléchir et harmoniser les différents régimes de pension ou encore travailler davantage sur la notion de durée de carrière avec également l’introduction de corrections actuarielles pour permettre aux gens de choisir, ça ce sont des éléments pour une vraie réforme utiles.
 

Le nouveau gouvernement va donc reprendre tout à zéro en ce qui concerne les pensions ?

Honnêtement, comme rien n’a été fait sous cette législature, il faudra effectivement se remettre autour de la table et parler des vrais problèmes comme par exemple les incohérences entre les différents régimes de pension. En tous les cas, ce nouveau gouvernement ne pourra pas être dans la continuité.
 

Qu’en est-il du deuxième pilier de pensions ? Cela a été un vrai sujet avec la Ministre Lalieux… 

Certains ont clairement essayé de « tuer » le deuxième pilier, en expliquant que c'était la source de tous les maux en matière de déficit des pensions. Sauf que le deuxième pilier, il ne faut absolument pas y toucher. Il faut même l’encourager. Et nous en avons besoin plus que jamais car le premier pilier ne sera jamais en mesure de nous offrir un taux de remplacement adéquat. En outre, si l’on veut rétablir l’équilibre entre régimes, le 2e pilier joue un rôle crucial pour tenter de se rapprocher du taux de remplacement dont bénéficient les fonctionnaires. 

"La réforme doit rétablier l'équilibre entre les régimes".

Enfin, c’est quand même le meilleur outil pour garantir un lien fort entre pension et travail. On n’a heureusement pas touché à la taxation du 2e pilier (sous l’impulsion des partenaires sociaux). Malheureusement, on a de cesse de complexifier cette matière, ce qui n’est pas très bon non plus.
 

Selon vous, quel va être le chantier du nouveau gouvernement concernant les pensions ?

J'espère déjà qu'ils vont se poser les bonnes questions et voir où le bât blesse. Pour moi, il faut revaloriser le travail. Et la politique des pensions doit soutenir la politique de l'emploi. Tout le monde est convaincu qu'il faut mettre plus de gens en travail, donc les pensions doivent permettre aux gens de travailler plus longtemps. On ne demande absolument pas de toucher aux pensions des gens presque pensionnés ou même qui ont bien entamé leur carrière. Mais pour les jeunes générations, il faut vraiment se poser la question d'un nouveau système qui soit plus équitable et qui tend vers une meilleure harmonisation entre les régimes de pension, parce que celui-ci n'est pas équitable, ni entre les différents régimes, ni entre les générations. Mais j’ai l'impression qu'en une seule législature, ils n'auront pas assez de temps pour mettre ça en place.
 

Pour changer de sujet, toujours intéressant pour nos lecteurs, 500.000 malades de longue durée en Belgique… que se passe-t-il ?

Je pense qu’il faut, avant de lancer des nouvelles mesures, un peu comprendre la situation, se comparer aux autres pays aussi. 500.000 malades de longue durée en Belgique, c'est énorme. Il faut prendre le temps de bien distinguer les causes et les remèdes. Une personne atteinte d’un cancer ne doit pas avoir le même suivi qu’une personne en burn-out. Les 2 catégories méritent évidemment toute l’attention mais les remèdes et les approches seront différents. Il faut, également faire la part des choses entre ce que l'employeur peut résoudre et ce qui dépend de la sphère privée, pour ensuite venir avec des mesures.
 

Qu'est-ce que l'employeur pourrait mieux faire pour favoriser la réintégration ?

Déjà, il faut changer de paradigme et cesser d’accuser les employeurs de tous les maux. Ça fait longtemps que les entreprises prennent des mesures pour rendre les conditions de travail moins pénibles. Que peuvent-ils faire ? Continuer à adapter les postes de travail quand c'est possible. Continuer à prendre des mesures de prévention. Mais ils font déjà beaucoup. A cela s’ajoute pléthore de congés, du télétravail, des horaires plus flexibles, de nouveaux environnements de travail, …, j’oserais même dire qu’on n’a jamais fait autant pour le bien-être des travailleurs et pourtant il n’y a jamais eu autant d’arrêt maladie pour burn-out, bore-out, ...

"Dans chaque choix, il y a de l’inconfort et que donc la vie est un package avec du bon et du moins bon."

Il y a une responsabilité tripartite dans ce domaine : l’employeur qui doit pouvoir déceler les signaux d’alerte et réagir lorsque cela est possible. Dans cet exercice difficile, l’employeur a probablement aussi besoin d’aide … En outre, il n’est pas le seul acteur en jeu. Les médecins et les mutuelles doivent jouer leur rôle également et s’assurer que l’incapacité de travail ne s’éternise pas et que le travailleur est encouragé à reprendre son ou un autre travail le plus rapidement possible. Enfin le travailleur lui-même a une part importante de responsabilité dans son processus de réintégration. Celui-ci doit prendre ses responsabilités et pour certains doivent apprendre à réintégrer et apprécier la valeur travail dans leur vie. Il faut accepter en tant qu’individu que dans chaque choix, il y a de l’inconfort et que donc la vie est un package avec du bon et du moins bon.
 

Ma solution ?

Je pense qu’il faut agir plus vite et éviter que des personnes disparaissent du radar. Il faut prévoir des procédures d'activation comme pour les chômeurs, en faisant bien la distinction en fonction de la cause de la maladie. Cela n’a pas de sens de convoquer un travailleur qui est en pleine chimio, mais pour d’autres pathologies, c’est indispensable. Encore une fois, je crois que la conclusion, c'est qu’il faut revaloriser le travail. Et aider les employeurs plutôt que les sanctionner, parce qu'ils sont aussi victimes, finalement, de cet absentéisme de longue durée. Ils font déjà énormément avec, comme j'ai dit, toutes les mesures de prévention, les nouvelles technologies, la flexibilité, le télétravail. Tout employeur qui peut faire quelque chose pour améliorer le bien-être de son travailleur le fait.

 

Marie-Noëlle Vanderhoven en quelques mots

  • Premier conseiller à la Fédération des entreprises de Belgique, elle s'intéresse à la sécurité sociale et aux pensions depuis de nombreuses années.
  • Membre de différentes commissions et comités de gestion au sein des Institutions publiques de la sécurité sociale (SFP, ONSS, ONEM, ONVA, …) dans lesquelles elle relaye les positions de la FEB et plaide pour des réformes en vue de garantir la viabilité à long terme de notre régime, tout en améliorant sa performance dans un climat favorisant l'entreprenariat. ​​